À une époque où les « relations jetables » sont presque devenues la norme, il devient crucial de se questionner sur ce qui constitue des relations amoureuses saines et durables. Sommes-nous faits pour être en couple ? Qu’est-ce qui, indépendamment de nos volontés, détermine nos relations ? Y-t-il une dimension spirituelle à l’amour humain ? Est-ce que notre couple a de bonnes chances de durer ? Que faire et ne pas faire pour réussir notre vie à deux ? Ces sujets seront abordés dans une série de trois articles portant sur l’amour. Ce premier article traite du territoire, c’est-à-dire des déterminants anthropologiques et biologiques de la relation amoureuse : notre couple habite nécessairement ce territoire tout en étant différent des autres couples.
Nous sommes presque tous à la recherche de l’amour, mais les obstacles et les échecs sur cette voie sont nombreux et parfois dramatiques. En Occident, nous avons la conviction que nous pouvons choisir un/une partenaire qui nous convienne, ce qui n’était pas et n’est toujours pas coutume au sein de sociétés plus traditionnelles. Mais le succès que l’on pourrait espérer dans nos unions semble illusoire : au Québec, près de 50 % des unions échouent, par ailleurs, certains estiment que 67% des couples du Québec, mariés depuis 1990 auront divorcés en 2030, et faut-il ajouter que les unions qui perdurent ne sont pas nécessairement toutes épanouissantes.
Des conséquences dramatiques ? Aux USA, les hommes séparés ou divorcés se suicident deux fois et demi plus souvent que ceux qui demeurent mariés. Chez les couples divorcés, on retrouve beaucoup de souffrance causée par la douleur de la séparation et même parfois la dépression. Les enfants issus de ces unions écopent également: difficultés et échecs scolaires, comportements inappropriés et efforts insuffisants à l’école, joie de vivre à la baisse, etc. Bref, ces difficultés relationnelles ont un impact certain sur l’ensemble de nos sociétés.
Le territoire : des déterminants anthropologiques et biologiques de la relation amoureuse
Qu’est-ce qui délimite nos relations amoureuses? Qu’est-ce qui en détermine le territoire, le champ des possibles : sur quel territoire nos relations évoluent-elles ? Examinons du côté de l’anthropologie et de la biologie.
Nous sommes nés pour aimer. L’amour romantique est une pulsion humaine, c’est l’un des trois systèmes neurologique de base qui ont évolué il y a des millions d’années. La pulsion sexuelle nous motive à rechercher des relations sexuelles avec une certaine catégorie de partenaires; l’amour romantique nous prédispose à centrer notre énergie d’accouplement avec un seul individu à la fois; et des émotions d’attachement profond nous poussent à demeurer avec un même partenaire suffisamment longtemps pour qu’ensemble nous puissions élever nos enfants. Ficher, Helen; Why Him? Why Her? ; Henry Holt and Co. ; 2009.
Nous partageons avec plusieurs mammifères ces trois systèmes neurologiques avec, bien sûr, certaines variations. On retrouve donc, dans l’ordre, ces trois facteurs, qui définissent le terrain, les possibilités, les potentialités de nos relations :
- la pulsion sexuelle ;
- l’amour romantique ;
- l’attachement.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le choix de notre partenaire est soumis à certaines contraintes. Si l’on ne s’étonne pas de savoir que, comme nous, les mammifères choisissent leurs partenaires et ne copulent pas avec le premier venu, on apprend que … même les radis procéderaient à une sélection sexuelle. Si les radis et les campagnols choisissent leurs partenaires, il est bien évident que nous les choisissons nous aussi, même si les critères de sélection, eux, sont fort différents.
En ce qui a trait à la pulsion sexuelle, chez les primates et chez l’être humain, elle n’est pas exclusivement orientée vers la reproduction. Notre pulsion sexuelle nous pousse vers un comportement érotique : le but des activités sexuelles devient alors la stimulation du corps et des zones érogènes. En d’autres mots, les hominidés recherchent les activités sexuelles, car elles procurent un plaisir érotique intense.
Mais nos pulsions et nos envies peuvent nous tromper. En effet, la pulsion sexuelle est une condition nécessaire, mais non suffisante comme on dit en mathématique : il ne faut pas négliger les autres dimensions de la relation. En clair : on peut ressentir une forte attirance sexuelle pour un individu, sans que cet individu soit un choix approprié pour nous. Cette union risque de ne pas survivre longtemps si les autres caractéristiques ne sont pas présentes.
Chez l’animal, alors que, lors de sa quête d’un partenaire sexuel, sa recherche s’étend sur plusieurs individus, l’amour romantique correspond à la phase où il centre son énergie d’accouplement sur un seul individu. Faut-il le rappeler, l’animal n’a généralement pas de relation sexuelle avec n’importe qui : il choisit.
Le campagnol des prairies, par exemple, est une petite souris des champs qui est monogame et qui partage les responsabilités parentales. Elle a été étudiée de près afin de comprendre l’action des hormones sur le système nerveux, en particulier l’ocytocine, l’hormone de l’attachement.
En tant qu’humain, nous sommes nous aussi soumis à ces trois phases, et même si nous les vivons différemment, nos hormones s’assurent de les réguler afin que notre espèce survive. Il peut y avoir des variations individuelles, bien sûr, mais, pour la grande majorité, le plan d’ensemble est tracé d’avance autour de ces trois phases: attraction sexuelle, amour romantique et attachement.
Des règles de la compatibilité entre humains ?
Considérant quatre neurotransmetteurs: la dopamine, la sérotonine, la testostérone et l’œstrogène, Helen Fisher a tenté de définir quatre types de personnalité, ces neurotransmetteurs étant directement associés à une large gamme de traits de personnalité. Elle a élaboré un test de personnalité et elle a observé quelle personnalité était attirée par quelle autre dans le cadre d’un site de rencontre. Le tout est expliqué en détail dans son livre : Fisher, Helen; Why Him? Why Her? ; Henry Holt and Co. ; 2009. Voir ce résumé du livre.
Hélène Fisher a donc défini des « catégories » de partenaires et des règles de compatibilité entre ces catégories, traçant ainsi une carte des possibilités selon les types de personnalité. Ces catégories ne sont pas exclusives et la grande majorité de ceux qui se soumettront au test pourront identifier le type dominant auquel ils appartiennent ainsi qu’un type secondaire.
Voici ces quatre types de personnalité:
- l’explorateur et l’exploratrice recherchent la nouveauté, sont enthousiastes, artistes, créatifs, curieux, prennent des risques, sont spontanés et irrévérencieux et recherchent l’aventure ; la dopamine est le neurotransmetteur le plus associé aux explorateurs ; 26% de l’échantillon de 40 000 répondants d’Helen Fisher ;
- le constructeur et la constructrice sont classiques, calmes, moraux, respectent l’autorité, sont loyaux et consciencieux, font preuve d’une certaine prudence et leur comportement est fondé sur des règles ; la sérotonine est associée aux constructeurs ; 29% de l’échantillon ;
- le directeur et la directrice sont analytiques, logiques, indépendants, catégoriques, assez compétitifs, ils sont habiles à comprendre les systèmes à base de règles et font preuve de maîtrise de soi et d’ambition ; la testostérone domine chez les directeurs ; 16% de l’échantillon ;
- le négociateur et la négociatrice sont très sociaux, intuitifs, sympathiques, altruistes, idéalistes, tolérants, agréables, dévoués et ont une imagination fertile ; ils ont une vision globale et ne sont pas très portés sur les détails ; chez eux, c’est l’œstrogène qui prévaut ; 25% de l’échantillon.
Voici maintenant les règles d’attraction simplifiées :
- les explorateurs recherchent les explorateurs, les constructeurs recherchent les constructeurs ;
- les directeurs, eux recherchent les négociateurs et inversement, les négociateurs recherchent les directeurs ;
- Helen Fisher introduit aussi des nuances que nous ne reproduisons pas ici, en voici deux exemples : les explorateurs ne rejettent aucun type, tout en préférant les explorateurs alors que les constructeurs auront tendance à rejeter les négociateurs.
Il faut mentionner que des critères physiques vont aussi jouer : beauté, taille, musculature, type physique, démarche, voix. Au sujet du critère de beauté, mon fils m’a mentionné avec beaucoup de sagesse : « Il y aura toujours une femme plus belle que la nôtre. ». Appliquer le seul critère de beauté est une garantie de déceptions sans fin.
L’amour romantique ou l’amour naissant
L’amour romantique ou l’amour naissant sont deux appellations pour le même phénomène. La courte vidéo de 2 min. qui suit illustre l’exaltation de l’amour naissant, la finale est particulièrement significative.
Ayez à l’esprit les trois phases de l’amour dans la suite de l’article :
- la recherche et la sélection d’un partenaire sexuel ;
- l’amour romantique, l’amour naissant ou la concentration de l’intérêt sur un seul partenaire ;
- l’attachement.
De son côté, un sociologue italien Francesco Alberoni a très bien décrit de l’intérieur le phénomène de l’amour romantique dans son livre Le choc amoureux qu’il compare à un mouvement collectif, à une révolution, mais vécu à deux et dont le but est de nous extraire de notre vie actuelle, de nous arracher de notre famille, voire même de notre couple.
On observe que certains, en tombant en amour, puisent l’énergie nécessaire pour rompre avec leur partenaire actuel. Pour rompre l’attachement, il faut souvent la puissance révolutionnaire de l’amour naissant. Personnellement, j’ai choisi de ne jamais faire cela ; si j’ai remis en question une relation, c’est cette relation que j’ai examiné le plus calmement possible et c’est cette relation que j’ai considérée.
L’amour romantique centre notre intérêt sur un seul partenaire, qu’on soit un campagnol des champs ou un étudiant en sociologie. Si on peut être attiré sexuellement par plusieurs partenaires, on ne tombe pas amoureux de plus d’une personne en même temps. Cette phase nous assure de ne pas nous épuiser à courir deux lièvres à la fois.
Une fois que la révolution est terminée et que le nouvel amour a pris le pouvoir et s’est saisi du gouvernement de nos vies, on entrera alors dans une toute autre phase. Chez l’humain, comme chez le campagnol des champs (ou des prairies), le nouvel amour se transforme en attachement, ce qui est nécessaire pour élever les enfants qui pourraient naître de cette relation. Ce qui est intéressant à remarquer, c’est que l’attachement suit l’amour naissant même sans les rejetons.
Dans un couple de campagnol des champs, il y a aussi cette phase d’attachement et les deux partenaires élèvent les petits, contrairement au campagnol des montagnes, plus volage. Fait intéressant, on a pu démontrer que ces comportements étaient soumis à l’action des hormones dans le cerveau des campagnols des champs : en particulier de la vasopressine et de l’ocytocine, hormone de l’attachement et du lien social. Ces hormones sont secrétées chez les deux espèces cousins de campagnol, mais leur capture dans deux régions du cerveau peut être bloquée ce qui commande alors des comportements différents. Retenons aussi qu’il y a une variété d’un individu campagnol des champs à l’autre en ce qui a trait à la distribution des récepteurs à la vasopressine dans le cerveau, ce qui gouverne des comportements plus modulés : tous les campagnols des champs ne sont pas tous aussi monogames et certains sont plus opportunistes sexuellement.
Il peut arriver qu’on soit accroc au buzz que procure la phase d’amour romantique et, qu’une fois cette phase passée, on soit déçu(e). On croit alors que notre amour est terminé et on recherche à nouveau cette sensation exaltante avec un nouveau ou une nouvelle partenaire … dans un cycle sans fin. Dans ce cas, la phase d’attachement est écourtée, voire inexistante.
Nous n’avons pas considéré d’autres facteurs tels les phéromones ou la recherche de la diversité génétique, ni évalué la validité du test de personnalité d’Helen Fisher. Toutefois, tenir compte de la compatibilité des personnalités dans le choix du partenaire est certainement un pas dans la bonne direction.
Mais il y a plus que nos personnalités à considérer avant de s’engager à long terme. C’est ce que nous considérerons dans le deuxième article d’une série de trois sur l’amour. Nous y aborderons les conditions pour qu’un couple forme une union heureuse et épanouissante. Enfin, le troisième article portera sur ce qu’il faut éviter de faire afin que notre couple dure.
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Très bon sujet…
Ayant eu pour ma très large part de confusion et de de revers amoureux; j’en suis venu à la conclusion que ma recherche d’extase et de d’effervescence ou ivresse affective dont l’époque contemporaine des années cinquante et soixante a permis à toute une génération d’imaginer… C’est à croire que de désirer obtenir à tout prix le paroxysme en tout a fait en sorte que jamais je me suis vraiment préoccuper des vraies valeurs que l’amour suscite à sa base…
C’est tout simplement l’instinct de survie que de vouloir marcher à deux dans la vie. C’est ce que j’éprouve aujourd’hui depuis bientôt huit ans. Ma relation actuelle n’a presque rien de charnel et d’illusoire ou issue de la rêverie érotique entre autres. C’est maintenant une question de sécurité partagée que de construire à deux un environnement viable, honnête et aimable. Faut dire qu’à mon 66e printemps, il est une grâce d’en arriver enfin à cette conclusion…
L’autre alternative aurait été de pouvoir vivre seul et d’avoir été capable d’une plus grande indépendance équilibrée… Ce qui ne fut point le cas en ce qui me concerne…
À persévérer tout vient à point… Des fois un peu tard, mais mieux que jamais… Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir…
Merci,
Jacques Geai (G)
merci pour ton commentaire, Jacques, moi je vais vers mon 67e automne et de publier ces articles (celui-ci et les deux autres) sur l’amour m’a permis de mener une réflexion personnelle sur le sujet.
Ton commentaire est éclairant et je médite dessus.
En effet, à nos âges, que pouvons nous attendre de la rêverie érotique et de ses illusions?
Et j’aime bien quand tu écris:
« C’est maintenant une question de sécurité partagée
que de construire à deux un environnement viable, honnête et aimable. »
et aussi : « C’est tout simplement l’instinct de survie que de vouloir marcher à deux dans la vie. »
J’ajouterais qu’à un certain moment dans nos vies,
la relation amoureuse n’a pas nécessairement la même signification
que beaucoup plus jeune…
ce que tes propos illustrent éloquemment.
Bonsoir Claude,
Merci de réfléchir ainsi ensemble sur ce qu’il en est de nos réalités vieillissantes en couple, voire peut-être les espérances, illusions et désillusions de tous ceux et celles qui vivent seuls…
Je m’attarde ici sur le troisième point: Compatibilité ou complémentarité… Qui nous interpelle constamment ma compagne et moi… tout comme du pardon de n’être souvent ni l’un ni l’autre, mais qu’en finalité, tout finit par s’accepter en y mettant équitablement du sien…
Faut dire que nous pratiquons le même mode vie et que nous ne sommes ensemble que depuis huit ans… et encore, il y a une multitudes d’autres prérogatives souvent aléatoires… imprévisibles et mystérieuses.
… Bref, que de beaux sujets de méditation en perspective…
Merci Claude,
À bientôt,
Jacques Geai
Intéressant, Claude. J’ai hâte de lire la suite.
Lise
Bonjour Claude, toutes et tous,
En ce qui concerne le détail du présent article no 2 “L’amour” sur les cinq critères pour une relation épanouissante … Dont je site l’intro:
“Swami Prajnânpad a proposé cinq critères pour une relation amoureuse épanouissante à long terme et Arnaud Desjardins les a transcrit. Les cinq critères sont :
1) Le sentiment d’être deux vrais compagnons :
Avoir un compagnon, une compagne, c’est le sentiment de ne plus se sentir seul ; le mari ou la femme doit aussi être notre meilleur ami ; amitié profonde ;
2) L’aisance et la facilité : le fait que les choses soient faciles, même dans le quotidien ;
3) Deux natures qui ne sont pas trop différentes ;
4) Une confiance réciproque absolue ;
5) Une forte pulsion à rendre l’autre heureux/heureuse.
Je me suis plutôt inspiré sur ma propre expérience sans approfondir les liens ou références évoquées… Désolé le temps me manque pour me plonger dans les études et dissertations voire “écoles de pensées” évoquées.
J’ai plutôt survolé le résumé que tu nous a présenté, certes avec intérêt mais sommairement et me suis contenté de vous partager mon expérience de couple surtout sur la “Compatibilité ou complémentarité…”
Dès que le temps me le permettra, je reviendrai surement en rajouter, toujours dans la même tendance de partage d’expériences, plus qu’adhérer et discuter une quelconque philosophie que je ne dénigre en rien, mais dont l’approfondissement m’interpelle peu… pour le moment.
Bien à toi, pareillement à vous toutes et tous,
Bonne journée.
Jacques Geai,